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Sourire
(traduction de l'anglais par Laurent Rabatel et l'auteur)

Le garçon leva les yeux pour regarder la fille, car elle était un peu plus grande que lui. Il sourit, et elle lui rendit la pareille. Il ne pouvait rien faire d´autre. En sa présence, il était sans voix : il était anglais et elle était française, et ils n'avaient aucune langue en commun. Il l´avait observé pendant des semaines et rêvait d´être avec elle. Il ne savait pas comment cette intimité évoluerait, mais il savait qu´il voulait se livrer à elle, et qu´elle lui rende la pareille. Un matin, il y a deux semaines, il avait vu un autre garçon qui sortait de son appartement. Il ne savait pas qui était cet autre garçon (un frère, un cousin, un amoureux, un ami ?), mais il voulait désespérément être à sa place, se changer en lui, vivre dans son monde.


             La main du garçon plongea dans sa poche et en sortit un petit bout de papier blanc, parfaitement plié au milieu. Il contenait un mot pour la fille qu'il n'aurait jamais pu dire à haute voix. Il n´aurait pas pu surmonter le déchirement si elle l'avait mal interprété. Il le lui donna. Elle l´ouvrit, et sourit. Le garçon pu enfin respirer. Elle le remercia dans sa langue natale, puis partit. Elle avait en fait eu un rendez-vous urgent qui ne pouvait pas plus attendre, même pour un événement aussi profondément important que celui. Elle traversa la rue en toute hâte et monta dans le tram. Après qu´elle eut trouvé une place, elle ouvrit la feuille et la lut une nouvelle fois : Tu es la seule qui me sourit. C´était la manière la plus vraie de décrire son amour pour elle.


             Il ne l´a vit plus jamais.


             De ses sentiments pour lui, le garçon ne sut rien de plus que ce qu´elle lui avait dit par son sourire quand elle avait lu le mot pour la première fois. Il ne su jamais non plus pourquoi elle avait disparu de son quotidien. Il trouva bizarre (et atroce, car il l´aimait autant qu´il aurait pu aimer) de ne plus la voir pendant les deux semaines qu´il lui restait dans son pays. Il ne connaissait personne, et ne pouvait de toute manière pas demander à quelqu'un où elle était. C'est cette ignorance de la langue qui le sauva. Alors qu´elle était assise, lisant son message, le tram heurta une voiture arrêtée sur les rails. Le tram dérailla, tuant, entre autres, la fille. Il ne sut jamais qu'alors que son corps volait au milieu de la voiture numéro deux, la feuille serrait fermement dans sa main. Il ne sut jamais qu'elle avait lâchée la feuille seulement après que sa tête eut heurtée la fenêtre latérale. Il ne sut jamais que les mots qu´il avait perfectionnés si longtemps, étaient devenus illisibles lorsque son sang avait dégouliné sur la feuille parfaitement pliée au milieu, et l´a maculée de rouge. Et il ne sut jamais que l´autre garçon, qu´il avait souhaité si fortement être, devrait vivre en sachant ce qui s´était passé.